dimanche 26 octobre 2025

Emmanuel Carrère – Kolkhoze : le cauchemar des bien-pensants

Le dernier roman d'Emmanuel Carrère, Kolkhoze, a donné lieu à une polémique déclenchée par l'orthodoxie communiste blessée du monde de la critique littéraire, et notamment Collateral puis Mediapart, le premier présentant l'ouvrage comme "un Carrère problématique avec un Kolkhoze trouble avec l'extrême droite", ce qui appelle quelques commentaires avant qu'on se penche sur le cœur de cet article : le cauchemar des bien-pensants.

Premier commentaire : "problématique"

En prétendant qu'une œuvre ou qu'un auteur puisse être problématique, on admet qu'il existe une orthodoxie et une hétérodoxie, un cadre duquel sortir pose problème, et c'est cela qui est réellement problématique : la littérature doit-elle se conformer à des commissaires politiques pour avoir droit de cité ? Si oui, quelle différence alors entre une œuvre littéraire et un tract politique ? Quid de la liberté de l'écrivain ? La liberté est-elle possible pour un écrivain qui déplaît à ceux qui pensent être l'orthodoxie littéraire et morale ? Enfin, d'où parlent ceux qui considèrent une œuvre comme problématique si ce n'est de leurs propres opinions qui sont par définition subjectives et qui ne sauraient donc - sauf tyrannie - s'imposer aux autres citoyens ? Ainsi, c'est l'usage même du terme problématique qui est problématique, révélateur d'une entreprise tyrannique.

Second commentaire : "trouble avec l'extrême droite"

On n'a jamais entendu des critiques littéraires se plaindre qu'une œuvre ou un auteur ait un lien trouble avec l'extrême gauche, avec le socialisme, avec le féminisme, avec le centrisme ou avec le libéralisme. Mais il est largement répandu de dénigrer une œuvre ou un auteur car il appartiendrait à (ou serait proche de) l'extrême droite, et cela pose un double problème :

1/ Ce que les critiques (et au-delà les journalistes, éditorialistes, célébrités et politiciens) appellent extrême droite est toujours très vague et à peu près n'importe quel citoyen attaché à sa terre,  à ses racines, à ses traditions ou à son pays peut entrer à un moment ou un autre dans la catégorie des "extrémistes de droite", ou tout simplement des "fachos", on se rappelle par exemple qu'à la fête de l'Humanité cette année, c'est carrément le secrétaire national du Parti communiste français, Fabien Roussel, qui fut traité comme un fasciste par des partisans du député NFP/LFI Raphaël Arnault.

2/ Même si un écrivain ou une œuvre était réellement classable à l'extrême droite, on voit mal en quoi cela altèrerait sa qualité littéraire ou sa pertinence intrinsèques, sauf à considérer qu'en littérature il n'y aurait que les bonnes œuvres écrites par des citoyens compatibles avec la gauche ou son extrême et les mauvaises œuvres écrites par des citoyens compatibles avec l'extrême droite, ce qui serait purement anti-intellectuel et authentiquement partial et militant.

La question se pose donc, la littérature française et sa critique doivent-elles être validées par une section locale du Parti socialiste pour avoir droit de cité ? De la réponse à cette question dépend le visage de notre paysage intellectuel : caporalisé ou libre.

M'est avis que la liberté vaut mieux que le caporalisme socialo-communiste.

Le cauchemar des bien-pensants

Ceci étant dit, voici pourquoi cet article s'appelle le cauchemar des bien-pensants.

Kolkhoze est un roman sur la vie de la mère de l'auteur, Hélène Carrère d'Encausse, qui s'ouvre par l'hommage national qui lui fut rendu le mardi 3 octobre 2023, retrace l'histoire familiale de la mère (et du père) d'Emmanuel Carrère, et s'achève sur la mort de sa mère. Ce roman de près de 600 pages, édité chez P.O.L., est une lecture agréable, grâce au talent de l'auteur, même s'il est un peu trop structuré et qu'il ressemble ainsi parfois plus à un "travail" qu'à une narration. Cependant, ce livre fut une excellente compagnie, et l'on comprend aisément que son contenu ait par moment pu déplaire aux thuriféraires de la bien-pensance, alors que justement, la rareté des propos tenus dans cet ouvrage, en comparaison avec l'insignifiance ou le parti-pris opposé qui font habituellement florès dans la littérature française, est de nature à faire de cet ouvrage un objet littéraire rafraîchissant - parti pris positif - ou au moins "différent" ou "original" (et non pas "problématique" comme voudraient le faire croire les commissaires politiques évoqués plus haut).

En effet, dans Kolkhoze, la liberté de ton et la liberté intellectuelle d'Emmanuel Carrère, nous offrent des passages à même de ravir un lecteur pas spécialement fan du goulag ou du soviet. En vrac : critique de la terreur rouge, retour sur la diabolisation du national-socialisme, retour sur l'héroïsation de la résistance, avis positif sur les poèmes de Fresnes de Robert Brasillach, respect pour Maurice Bardèche, critique de la féminisation des mots, antimaoïsme, dénigrement de mai 68 et de "libération" de l'Algérie par le FLN, on comprend qu'un lecteur n'aimant lire que des œuvres politiquement compatibles avec le socialo-communisme ait passé un mauvais moment, malgré les distances prises ça et là par Emmanuel Carrère avec ce qui pourrait ressembler à de l'extrême droite. Voici quelques citations extraites de l'ouvrage pour se faire une idée :

Sur le communisme :

[...] une haine de classe que Lénine chauffait à blanc en répétant chaque jour son mantra : "Fusiller ! Fusiller ! Fusiller ! Terroriser ! Terroriser ! Terroriser ! Gazer ! Gazer ! Gazer !" "Ne demandez pas à un homme, disait aussi Lénine, ce qu'il a fait de bien ou de mal, mais à quelle classe sociale il appartient. C'est de cela seulement que doit dépendre son sort. - Mais alors, lui a demandé un peu troublé son commissaire du peuple à la justice, Steinberg, pourquoi un commissariat à la justice ? Pourquoi pas plutôt un commissariat à l'extermination sociale ? Ce serait plus clair." Lénine, avec sa tête de Kalmouk et son sourire rusé : "Parfaitement clair. Seulement nous ne pouvons pas le dire."

[...] confronté aux échecs patents du communisme partout où on l'a appliqué, le communiste les explique invariablement par le fait qu'on n'a pas poussé assez loin l'expérience, ou qu'elle n'a pas été menée dans les bonnes conditions, ou qu'elle a été sapée par des ennemis du peuple - au lieu d'aller à la conclusion naturelle : si le communisme dans 100% des cas ne produit que des tyrannies sanguinaires, ce n'est pas une succession d'accidents fâcheux mais sa nature même.

Sur le national-socialisme :

Est-ce qu'on devait, en tant que Français, considérer que l'ennemi c'était l'Allemagne ? Ou considérer l'Allemagne comme le rempart de la civilisation contre le bolchevisme ?

Sur la résistance :

[...] Georges, qui avait été collaborateur, était un homme irréprochable, les résistants qui l'avaient assassiné étaient de basses crapules.

Sur Robert Brasillach :

Devant le peloton d'exécution, le 6 février 1945, il refuse le bandeau sur les yeux. [...] il écrit à la prison de Fresnes des poèmes [...] réellement beaux. Ma mère en connaissait plusieurs par cœur.

Sur Maurice Bardèche :

[...] après la guerre, il devient fasciste. Pur fasciste, fasciste intégral. On peut reprocher bien des choses à Maurice Bardèche mais pas l'opportunisme : parmi tant de résistants de la onzième heure, le type qui se découvre fasciste après la défaite du fascisme mérite une forme paradoxale de respect.

Sur la féminisation des mots :

[...] "l'auteur de ces lignes" (pas "l'autrice", évidemment : la tête sur le billaud ma mère n'aurait jamais écrit "l'autrice").

Sur la maoïsme :

[...] la révolution culturelle maoïste - alors engagée, à ciel ouvert et sous les regards bienveillants d'un nombre significatif d'intellectuels occidentaux, dans l'éradication de plusieurs millions de Chinois [...]

Sur mai 68 :

[...] le chahut d'enfants gâtés [...]

Sur le FLN :

[...] FLN - sans se douter que ce parti indépendantiste allait après l'indépendance, quarante années durant, transformer l'Algérie en dictature féroce et corrompue digne de l'Union soviétique et d'ailleurs financée par elle.

On comprend qu'à la lecture de ces citations, un commissaire politique bien-pensant - même déguisé en lecteur lambda - s'étouffe et appelle à la mort sociale de l'auteur, affublé de l'étiquette problématique et trouble avec l'extrême droite qui a pour but de le salir et de pousser des œuvres beaucoup plus politiquement correctes dans la course au Goncourt...

samedi 6 septembre 2025

Jean Teulé - Crénom Baudelaire !

 

J'ai appris avec stupéfaction que ce livre était considéré par certains internautes bavards comme un pamphlet contre Baudelaire, ce qui est réellement choquant car c'est ce livre qui m'a redonné envie de lire de la poésie, et j'en remercie, de ce monde vers l'autre monde où il est désormais, l'artiste qui a créé cet incroyable ouvrage, mon compatriote bas-normand Jean Teulé.

Je crois comprendre pourquoi certains bas du front considèrent à tort cette œuvre comme un pamphlet : l'artiste, l'homme et les contemporains de Baudelaire sont présentés comme ils sont, dans le quotidien qui fut le leur, sujets aux turpitudes de leur temps, le Paris du XIXème siècle dans lequel naquit et mourut le poète. Or, de nos jours où tout doit absolument correspondre à ce que nous sommes et à ce que nous pensons sous peine d'excommunication via des hashtags vengeurs et assassins ; de nos jours où l'on ne se prive absolument pas de juger les hommes et les époques d'antan avec nos yeux et nos valeurs d'aujourd'hui, ce qui est une aberration révélatrice du niveau de fanatisme absolument démentiel et du niveau de curiosité absolument nul de nos contemporains, il est effectivement impossible de comprendre ce qu'ont pu penser, vivre, espérer et éprouver Charles Baudelaire et ses contemporains.

Au contraire, il faut s'incliner devant cette œuvre - l'un des livres les plus prenants que j'ai jamais lu, j'étais dégoûté de l'avoir fini, j'aurais voulu le lire jusqu'à la fin de mes jours, je n'ai connu ça qu'avec ce livre, et certains autres de Jules Barbey d'Aurevilly et de Bret Easton Ellis - qui est un témoignage vivant et palpable, fait de récit, de dialogues et d'extraits de l'œuvre poétique de Baudelaire, qui est un véritable hommage à ce mélange incroyable qui produit toujours des œuvres immortelles : le génie, le chaos, l'amour de l'écriture, la recherche d'une vie tournée vers un idéal qu'on s'est soi-même fabriqué, refuser de vivre autrement que sur la crête et donc tomber parfois du côté noir et parfois du côté lumineux, refuser de transiger avec ceux qui veulent vous changer ou vous diminuer. Ce livre, loin d'être un pamphlet, est le meilleur hommage qu'on puisse trouver de l'homme et de l'artiste Baudelaire.

Alors oui, ce livre ne plaira pas à ceux qui ne peuvent concevoir l'écrivain ou le poète autrement que comme un employé du mois, un personnage bien propre qui écrit son œuvre avec une belle plume et un beau papier dans un loft lumineux ou sous les dorures de quelque palace parisien, hé bien tant pis pour eux, car à vrai dire ce n'est pas vraiment avec ces gens-là qu'il est appréciable de parler littérature, ou de parler tout court.

jeudi 4 septembre 2025

Irresponsables

 

- On n'arrête pas de nous dire qu'on est une génération immature, qu'est jamais devenue adulte, comme si on était responsable de tout ce qui ne va pas dans le pays, comme si nos parents et nos grands-parents n'étaient pas les plus grands irresponsables que la terre ait jamais porté, en abandonnant femmes, enfants et foyers pour aller se mettre en couple avec des petites copines...

vendredi 15 août 2025

CONTENU

 

- Tout est devenu consommable. La moindre activité doit être communiquée à la terre entière dans l'espoir de "percer sur les réseaux sociaux", de "faire le buzz" ou d'être reconnu comme un "créateur de contenu". De quel contenu s'agit-il ? Ce n'est pas dit. Tout est contenu. Allumer sa console de jeux vidéo, faire un footing, cuisiner, tout est filmable-diffusable-likable. Chauffeur de poids lourd, moniteur d'auto-école, motard, cycliste, chacun veut un public, une audience, "une commu", chacun souhaite qu'autrui atteigne l'extase en le regardant lui, le héros, la star de sa vie, vie qui n'existe pas s'il oublie de la filmer.

- Répugnante recherche d'attention.

- Certes, mais la recherche d'attention me répugne moins que la cohorte de ceux qui donnent leur attention. Ils sont le vrai moteur de ce phénomène. On ne nous a jamais autant fait croire que nous étions une génération speed, connectée, overbookée, shootée au bougisme, amoureuse du changement, alors que le succès de tous ces "créateurs de contenu" prouve qu'au contraire ce que notre époque fabrique en masse, c'est des humains à l'arrêt, scrollant jusqu'à la fin des temps. Des consommateurs de "contenu".

Frédéric Beigbeder - 99 Francs

 

Unpopular opinion ? Frédéric Beigbeder est un meilleur romancier que Michel Houellebecq.

Son 99 Francs est amusant, créatif et bien construit, on y suit les turpitudes et la descente aux enfers du jeune cadre dynamique de la com' Octave, dont certains traits d'esprits raviront les salariés dégoûtés du Système dont ils assurent ironiquement mais par obligation la survie et la perpétuation, c'est-à-dire quasiment tous les salariés dudit " secteur tertiaire" que vous pouvez connaître, vous compris.

Octave finira-t-il au somment de la gloire ou réussira-t-il son autodestruction ? C'est tout l'objet de ce passionnant roman cynique et rythmé.

samedi 9 août 2025

Benoît Vitkine - L'enclave

 

Je le conseille.

On suit l'itinéraire d'un ado slave et pauvre dans une déambulation très bien racontée, ceux qui ont été slaves et pauvres prendront un énorme shoot de nostalgie en lisant ce roman, même si normalement vous êtes encore slaves, en espérant que vous êtes malgré tout un peu moins pauvres.

Le roman est très bien écrit, pas de longueurs inutiles (200 pages au format poche), les six mois que dure le récit regorgent d'autant d'anecdotes que votre collègue moyen mettrait une dizaine de vies à vivre, et encore c'est pas sûr, du coup je pense que si vous n'avez jamais été ni slave, ni pauvre, vous devriez quand même passer un bon moment.